Résumé de l'Apéro-philo du 24/02/15 : médecine et philosophie
L'Apéro-philo du 24 février 2015 s'est tenu au Pub-restaurant Chez Pierre (14 rue Barthou, Pau) à 18h45 sur le sujet suivant :
"Si l'homme était un, il ne serait jamais malade" Hippocrate de Cos (fondateur de la médecine occidentale)
A l'occasion de ce sujet, nous avons eu le plaisir de recevoir Philippe Marchat, médecin homéopathe, pour réfléchir avec nous sur le rapport de la santé à la maladie. Son expertise et sa pratique nous ont permis d'aborder et d'approfondir des enjeux essentiels :
I Présentation
Faut-il penser que la maladie est le signe, ou le symptôme d'une division interne, dans l'organisme physique lui-même, entre le physique et le psychique, voire entre l'homme et son environnement, comme le suggère Hippocrate ? Peut-on remédier à cet état de fait, qui semble plus évident aujourd'hui, dans notre culture morcelée et morcelante ? Comment comprendre la notion de santé ? N'est-elle que l'absence de maladie, ou la capacité de vaincre des maladies lorsqu'elles surviennent, vu qu'il est bien difficile de les éviter toutes ?
II Résumé de la soirée
1 La citation exacte, extraite du « Traité de la nature humaine » est : si l’homme était un, il ne serait pas sujet à douleur. Le mot grec est « algie », que la médecine actuelle utilise pour désigner certaines affections morbides. Il s’agit donc bien de maladie, opposée à la santé, conçue comme « unité « organique. Mais quelle sorte d’unité, s’il est patent que le corps est composé d’une grande quantité d’éléments fort dissemblables. On rappellera au passage l’héritage d’Empédocle qui avait thématisé pour des siècles la théorie des quatre éléments (terre, eau, air et feu). La médecine antique décrit quatre humeurs (sang, phlegme, bile jaune et bile noire) et quatre tempéraments de base (sanguin, phlegmatique, nerveux et bilieux), ainsi que quatre qualités (sec, humide, chaud et froid) d’où une combinatoire générale des humeurs, éléments, tempéraments et qualités, avec des correspondances subtiles dont la logique peut aujourd’hui nous échapper. Quoi qu’il en soit, l’unité de l’organisme apparaît d’emblée comme un problème. Ce ne peut être l’unicité d’un seul principe mais plutôt une synthèse plus ou moins harmonique ou dysharmonique, une unité complexe et mouvante.
2 La tradition hippocratique a dominé la médecine pendant quinze siècles, mais subit une éclipse suite aux progrès de la biologie scientifique. L’hippocratisme est dynamique et holistique : elle étudie l’homme dans sa globalité en interaction avec le milieu (climats, saisons, alimentation etc). La maladie résulte d’un dysfonctionnement, d’un déséquilibre, d’une rupture de l’unité interne. Pour la médecine moderne il s’agit plutôt de chercher des causes repérables (bactéries par ex) et d’agir sur l’organe malade. D’où aussi un découpage en spécialités (pneumo, cardio, uro etc) pour augmenter l’efficacité des traitements. Cette médecine « mécaniste » est particulièrement opérante dans le domaine de l’infrastructure organique (os, viscères, organes, peau, muscles etc) et on lui doit incontestablement un allongement significatif de la durée de vie. Mais elle ne soigne pas au niveau du « vivre », là où s’exprime si souvent la douleur du patient, dans son stress au travail, insomnie, allergies, troubles alimentaires, et autres. C'est pourquoi il importe d'opérer, selon Philippe Marchat, une distinction entre une "médecine du survivre" (mécaniste) et une "médecine du vivre" (holistique). Sans cette distinction, il en résulte souvent une déception du patient, qui s’estime mal entendu par la médecine scientifique, mal compris au terme d’une interminable course aux spécialistes, sans résultat probant. A force de découper les corps, on perd de vue cette fameuse unité complexe et vivante qui définit l’ « individuum », le « non divisible » qui fait la singularité du patient.
3 Question d’un interlocuteur : « Mais qu’est-ce qu’un corps ? Nous parlons du corps, mais nous ne savons pas ce que c’est que le corps ! ». Le corps est-il une machine démontable en pièces séparées, comme le veut la médecine moderne ? Mais n’est-ce pas là une médecine de « macchabées » - dont le cadavre serait le symbole achevé ?
Retour à la question – qu’est-ce donc que cette « unité » dont parle Hippocrate ? Le corps est senti et sentant, perçu et percevant, vivant et vécu, source perpétuelle de plaisir et de douleur, évolutif, changeant – et vivant dans une temporalité subjective, mais aussi familiale, régionale, « historique », marquée par l’histoire des générations d’avant, si bien qu’on ne peut séparer le corps d’une conscience ou d’un inconscient, d’une psyché, aussi réelle en somme que la matérialité apparente et évidente du soma. L’unité est à entendre comme réalité complexe et indivisible d’un tout somatopsychique, ce dont témoignera abondamment chaque patient, dont la douleur est autant celle de la psyché que du soma. Là encore nos classifications dualistes sont trompeuses et sources d’erreurs thérapeutiques.
4 Une longue discussion s’ensuit qui porte sur le rapport du praticien et du patient : entendre, écouter, diagnostiquer, soigner, soulager ou guérir ? Medicus curat, natura sanat : le médecin soigne, la nature guérit (quand elle n’emporte pas le malade dans la mort, ce qu’elle finit par faire de toute façon !)
Le grand enseignement de cette soirée aura été, outre la définition d’une approche plus humaniste de la personne du patient, une vision infiniment problématique et questionnante de cette indéfinissable mais nécessaire idée d’unité – synthétique, complexe, mouvante, adaptative, inventive – de l’indivisible corps-esprit, mais aussi de ses rapports problématiques avec son « environnement », de son milieu, bref de son inscription dans la nature englobante.
Pour Métaphores, GK
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