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Métaphores : CAFES-PHILO - CERCLE LITTERAIRE à Pau
8 mai 2015

Résumé de l'Apéro-philo du 26/05/15 : jouissance et morale

Apero philo

 L' Apéro-philo s'est tenu mardi 26 mai au café associatif La Coulée douce (rue Berlioz, Pau), Cité des Pyrénées à 18h45.

 Le sujet proposé et traité fut : "Jouis et fais jouir sans faire de mal ni à toi ni à personne, telle est je crois, toute la morale" (Chamfort).

 Alors que la morale définit ordinairement les règles, valeurs et conduites imposées par le groupe (tu dois !), la formule du moraliste fait ici du seul plaisir partagé, de la seule jouissance commune, le principe de notre action. Etrange impératif de la jouissance ! Paradoxe ? Peut-on encore appeler morale une pratique centrée sur le seul plaisir et sur l'absence de souffrance ? Ne faut-il pas plutôt y voir une éthique ? Et que vaut cette injonction au plaisir, à moins qu'il s'agisse ici d'un appel, voire d'un conseil pour se délivrer des formes traditionnelles de la morale ? La formule est "choc" et ne manque pas d'interroger la valeur de la morale ou pour parler comme Nietzsche "la valeur de la valeur". D'un autre côté, la maxime de Chamfort n'anticipe-t-elle pas l'exigence contemporaine de la jouissance, nouvelle forme d'un "devoir" dont on peut se demander s'il elle n'est pas une modalité de la pathologie narcissique de notre temps ? (DK)

 Nicolas de Chamfort (1741 - 1794), Maximes et pensées

Résumé de la soirée :

Il serait sot de prétendre résumer une soirée si riche et si dynamique, aussi me contenterai-je de quelques notes, invitations à poursuivre soi-même la réflexion.

 1)   Chamfort balaie d’un revers de manche vingt siècles de morale répressive, où la conformité aux normes est jugée « morale » - d’autant que « morale » est étymologiquement ce qui qualifie les « mœurs » (latin : mores). La première forme de morale est sociale et conventionnelle. C’est plus tard que les philosophes évoqueront la possibilité d’une morale personnelle (Aristote, Epicure, Stoïciens etc).

 2)   Chamfort invite à retrouver la loi de nature qui nous enjoint de rechercher le plaisir et de fuir la douleur (« jouis et ne fais de mal…). Il semble se diriger vers une éthique hédoniste, où le plaisir est proposé comme une nouvelle norme « morale », pour l’individu affranchi, dans une relation d’échange gratifiante (« fais jouir ») avec autrui. Jusque-là on pourrait lire la citation comme une nouvelle formulation de l’épicurisme : plaisir, mesure, amitié.

 3)   Mais la formulation présente un étrange paradoxe : pourquoi, si la recherche du plaisir est naturelle, en faire une injonction « morale » ? On pourrait penser que toute référence à la morale est inutile s’il suffisait de suivre la loi de nature, l’inclination instinctive –mais alors se pose la question de la limite : jusqu’où jouir ? D’où la référence à la question du « mal » : ne pas faire de mal, ni à soi ni à personne, remarque de bon sens si l’on considère la tendance égoïste, narcissique, voire perverse qui semble exister chez beaucoup. La morale que l’on écarte d’une côté revient de l’autre : la limite doit être posée, pour le bien de l’individu lui-même, et pour celui de l’autre.

 4)   Le vrai problème posé par la phrase est dans le verbe « jouir ». En version soft on traitera du jouir comme d’une forme intense du plaisir – ce que nous avons fait jusqu’ici – et cela ne pose pas de problème insurmontable, ni pour le sujet, ni pour la société. Mais si l’on entend « jouir » dans le sens d’une expérience violente, d’un dépassement des limites, d’une exaltation et d’une exultation, le problème révèle une singulière acuité. Chamfort ne dit pas « prends du plaisir », il dit « jouis », et quoi qu’on en puisse dire, les deux formulations ne sont pas équivalentes. S’il s’agit bien de jouissance nous sommes en face d’une réalité psychique d’un autre ordre, celui de l’excès, de l’extrême, du passage au-delà de la limite, Freud dirait - « au-delà du principe de plaisir » ce qui nous convie à une réflexion sur les pulsions, leur nature, leur visée, et leur éventuelle maîtrise. Si le sujet veut jouir, jusqu’où ? Et voici, à nouveau, la morale, mais aussi le droit, dont la fonction plénière est justement de limiter la jouissance (Le groupe évoque à ce sujet le danger de la perversion).

 5)   En somme, plaisir ou jouissance, il s’agit toujours en dernier ressort d’une lutte entre l’instinct, l’inclination, la pulsion, le désir  et la loi, sous quelque forme qu’elle se présente.

 6)   On pourrait conclure ( ?) en souhaitant que le sujet humain passe d’une obéissance revendicative et ressentimenteuse à la loi (hétéronomie) à une acceptation lucide, voire à une affirmation personnelle de la loi pour soi (Autonomie). Mais c’est là une conclusion toute personnelle qui n’a pas été formulée comme telle au cours de la soirée.

PS : remarquons qu’à la même époque paraît « L’art de jouir » d’un certain La Mettrie. Sans parler de Sade, dont Chamfort semble se séparer nettement. Le XVIII est un siècle de fermentation intellectuelle intense, qui nous interpelle encore aujourd’hui.

 Pour Métaphores,  Guy Karl

 

Pour en savoir plus sur cette activité, cliquez sur la rubrique correspondante à gauche : qu'est-ce que ?

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Commentaires
D
"Jouis et fais jouir sans faire de mal ni à toi ni à personne, telle est je crois, toute la morale" (Chamfort, Maximes et Pensées, 319).<br /> <br /> <br /> <br /> Qu'est-ce que jouir à l'époque de Camfort ? "Éprouver un plaisir de nature sexuelle" ? Sens attesté dès le XIIème siècle. Ou alors "tirer avantage, agrément de la fréquentation de..." ? En usage en langue classique. (cf. Jouir, dictionnaire historique de la langue française, Le Robert)<br /> <br /> <br /> <br /> Les deux sens attestés par les usages de jouir traduisent la portée hédoniste de la morale proposée par Chamfort. <br /> <br /> <br /> <br /> Deux remarques et une critique :<br /> <br /> <br /> <br /> - il s'agit bien de morale d'une part puisque l'auteur nous l'affirme comme telle et d'autre part puisque la formulation impérative connote la normativité propre à toute morale (obliger/interdire/permettre). Reste à savoir si la norme de Chamfort est impérative (l'obligation) ou permissive. <br /> <br /> <br /> <br /> - Cette norme de la jouissance qui ne doit pas faire de mal (ni à soi-même ni à autrui) s'inscrit dans une relation duelle : soi et l'autre, sans référence à un tiers ; la société ou une transcendance divine n'interviennent pas dans cette relation. C'est typiquement une relation de consentement mutuel entre deux particuliers sans autorité autre que leur décision. Or ceci semble tout à fait analogue aux types de contrat marchand ou de libre production qu'appelle de ses vœux le libéralisme économique du XVIIIème siècle. D'abord hédoniste, ainsi la morale de Chamfort se révéle-t-elle libérale. Simple constat. <br /> <br /> <br /> <br /> - Le problème des morales hédonistes (comme les morales du devoir du reste) est qu'elles ne permettent pas de résoudre certains problèmes moraux pratiques. Un homme est confronté à l'alternative qui serait soit d'entrer en résistance contre un envahisseur barbare soit de rester auprès de da famille pour lui assurer sa subsistance. A quel plaisir de réfèrera-t-il s'il vous plaît ?<br /> <br /> <br /> <br /> Ainsi vois-je ici une morale non du ressentiment, certes, mais comportant le risque individualiste de repli sur soi, ou sur un petit nous. Car qu'en sera-t-il devant le risque, la responsabilité ou encore la mort de l'innocent ? <br /> <br /> <br /> <br /> Bien à vous.
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G
Il y a, en effet, urgence de recentrement, ce que la philosophie enseigne depuis qu'elle existe.
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S
« Une dictature insidieuse du plaisir », c’est effectivement ce que l’on nous insuffle à demi-mots au quotidien. Le plaisir immédiat obtenu sans effort le plus souvent « étend » son « dard », en flottant au-dessus de nos têtes. <br /> <br /> <br /> <br /> Nouvelle morale, nouveaux mœurs à l’aune d’un désir irrépressible d’immédiateté, pris au cœur d’une forme d’impatience douloureuse qu’il nous faut satisfaire et calmer au plus vite. Jouissance et douleur ici semblent être étrangement mêlées … <br /> <br /> <br /> <br /> Mais peut-on continuer à jouir, voire même jouir tout simplement, lorsqu’on se tient sous le règne d’une addiction, d’une dépendance issue d’un diktat ou d’un impératif social ? <br /> <br /> Peut-on seulement entendre et expérimenter l’expression d’une jouissance à la fois commandée et bridée par des forces extérieures ?
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G
Ce n'est pas le moindre des paradoxes que la jouissance puisse devenir un impératif social de consommation, ce qui, en effet, arrange bien une économie essoufflée, à la recherche de nouveaux profits. Forme inattendue de Surmoi "libéral", qui promeut la liberté en vendant l'aliénation de masse.
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J
l'exigence de jouissance n'était-elle pas une pression sociale qui pourrait confiner à la dictature insidieuse du plaisir ?
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