Résumé Apéro-philo - 22/03/18 - Le désir c'est ce qui dérange
L'Apéro-philo du mois de mars s'est tenu le jeudi 22 à 18h45 au café-restaurant Un Dimanche à la campagne sur le sujet suivant :
Le désir c'est ce qui dérange
Résumé de la soirée :
1) Dans une économie psychique marquée par le souci de régularité, de sécurité et de prévisibilité – telle que peut l’être celle d’un moi centrée sur le bien-être – l’apparition soudaine du désir se signale par le dérangement, vécu comme une menace, ou un beau risque. La littérature mondiale a souvent traité ce thème, et décliné les variantes de ce dérangement, parfois jusqu’aux conséquences les plus dramatiques : Anna Karenine, abandonnant sécurité, mari et enfant pour s’exalter dans la violence d’un amour qui la mènera au suicide. On reconnaîtrait la puissance du désir, sa dimension singulière précisément au dérangement qu’il cause. Il viendrait compromettre la sécurité paisible d’ « une vie rangée », ouvrant au risque et à l’incertitude.
2) Cette analyse ne vaut pas pour le besoin, qui ne vise qu’à la conservation de la vie. Mais le désir n’est pas le besoin : le désir a une dimension d’indétermination, de variation (dans le choix des objets – qui au sens strict ne sont pas nécessaires). Dans le désir le sujet expérimente une poussée, un élan vital, une impulsion qui donne du prix à l’existence. S’il s’attache à un objet il peut s’en détourner après satisfaction, pour désirer encore ailleurs, dans une course métonymique sans cesse relancée. D’où l’hypothèse d’un manque structurel qui, du fond de l’être, détermine un mouvement interminable vers une satisfaction, toujours brève et incomplète. D’autres participants insistent plutôt sur la puissance du désir, qui signalerait un excès plus qu’un manque. Quoi qu’il en soit, le désir est là, qui agit et transit, apportant son lot de souffrances et de joies, au gré de la fortune et des circonstances.
3) Notre énoncé n’a guère de sens si l’on s’en tient aux menus désirs de la vie quotidienne, désirs d’objets encouragés par la publicité, désirs conformes à la morale, aux impératifs sociaux etc. Ceux-là ne dérangent rien ni personne, tout au contraire ils font tourner la machine du monde. Mais d’autres désirs se signalent par leur violence, leur caractère éruptif, voire hors-norme, ou asociaux : ils menacent directement l’équilibre familial (une maîtresse, un amour passionnel, une soudaine envie de voyage au bout du monde, etc). Ou ils entraînent une totale refonte des valeurs : alors cela dérange l’entourage, bouleverse tous les rapports.
4) Dans ces cas, plus fréquents que l’on pense, le sujet et ses proches vivent le dérangement dans un mélange d’angoisse et de peur. Mais aussi d’espoir – au moins pour le sujet lui-même, qui, risque assumé, espère un changement radical et positif de sa vie : Gauguin quittant la France, sa femme et ses enfants pour Tahiti, et pour la peinture, enfin libre, et la beauté. Il est bien difficile de comprendre quelle est la source d’une telle aspiration si on ne la partage pas : le désir de l’autre, qui n’est pas le mien, me reste une énigme. Mais à moi-même, dans l’épreuve du désir, je suis une énigme. Nous y verrons la marque propre de l’inconscient.
5) Il semble que pour l’être humain il y ait un conflit fondamental entre l’aspiration légitime au bien-être, à la sécurité physique et psychique, conformément d’ailleurs au discours normatif de la morale, aux exigences sociales – et d’autre part un élan, une aspiration dynamique et survoltée vers un « ailleurs », un « autre monde », une intensité inépuisable qui nourrit en profondeur une insatisfaction chronique, un sentiment de révolte, une soif pour un continent inconnu « quelque part hors du monde pour y trouver du nouveau ».
Pour Métaphores, Guy Karl