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Métaphores : CAFES-PHILO - CERCLE LITTERAIRE à Pau
6 décembre 2017

Résumé Manhattan-philo - 3/01/18 : Pardonner est-ce oublier ?

Manhattan-philo1

Le premier Manhattan-Philo (activité libre et gratuite) de l'année s'est tenu le  mercredi 03 janvier à 18h45 au Manhattan-café, rue de Sully à Pau. 

Les trois Sujets proposés furent :

Sujet 1 : A quoi ressemblerait un monde idéal?

Sujet 2 : La différence sexuelle est-elle une construction culturelle?

Sujet 3 : Pardonner est-ce oublier?

Le sujet voté par le groupe nombreux fut : 

Pardonner est-ce oublier?

Résumé de la soirée :

Le public, plutôt nombreux en cette période d’après fêtes, a choisi de parler du pardon en se demandant si on pouvait le définir par l’oubli. J’ai introduit le sujet en montrant un paradoxe. Le pardon, étymologiquement, renvoie au droit de faire grâce. On peut le définir comme un acte libre par lequel on délie un fautif de sa faute. Il y a dès lors une relation paradoxale avec l’oubli, qui n’est pas un effacement, mais une absence de remémoration. En effet, si je pardonne, je dois aussi cesser de me remémorer la faute, sans quoi je risque de retrouver les affects négatifs qui y sont liés. Mais d’un autre côté, il ne semble pas possible d’oublier volontairement quelque chose, et le pardon relève bien, semble-t-il, d’un acte volontaire. Quelle est la relation particulière que le pardon entretient avec l’oubli ? S’il n’est pas oubli, alors quelle est sa relation avec la mémoire ?

A partir de là, une réflexion assez riche a été déployée par le public, et en voici les moments saillants.

Tout d’abord, une difficulté se présente au niveau de la valeur du pardon. On semble présupposer que pardonner est un acte propre à l’homme, et que c’est un acte louable. Ces deux présupposés sont interrogés par le public. D’une part, en se demandant si le pardon n’est pas le trait particulier d’une culture, la culture judéo-chrétienne. D’autre part, en se demandant si le pardon n’est pas un acte assez hautain, orgueilleux, qui témoigne d’une supériorité. Enfin, est aussi interrogé la possibilité pour l’homme de pardonner. Le pardon n’est-il pas une valeur surnaturelle, possible seulement pour Dieu ?

S’il est indiscutable que le pardon est une notion déployée par le christianisme, une personne remarque qu’on trouve néanmoins les notions de clémence et de magnanimité dans les cultures antiques. Corneille, justement, en a fait une pièce, La clémence d’Auguste.  D’autre part, si le pardon implique un pouvoir, celui de faire grâce, il n’est pas manifestation d’une puissance naturelle, mais plutôt d’une puissance morale. De fait, celui qui pardonne n’écrase pas l’autre, alors qu’il le pourrait. Mieux, une personne fait remarquer que celui qui pardonne se place au niveau du fautif, en supposant qu’elle-même n’échappe pas à la faute, et qu’au fond, elle ne vaut pas mieux que lui.

Manhattan-philo 03 01 18

Le public s’accorde globalement pour distinguer le pardon et l’oubli. Pour deux raisons. Une personne fait remarquer que l’oubli est tout bonnement impossible, dans la mesure où le cerveau emmagasine tout. Tout souvenir est donc présent, et peut resurgir dans certaines conditions. D’autre part, parce que l’oubli est un processus psychologique inconscient, tandis que le pardon demande une conscientisation, un travail sur soi, un travail relationnel, qui le distingue clairement de l’oubli. Toutefois, le pardon rend possible un recommencement, soit de la relation brisée (entre états ou individus), soit de sa propre vie. En cela il possède une analogie avec l’oubli, qui a des vertus créatrices.

Dès lors, il convient d’élucider cette notion de pardon, comment la définir plus correctement que par l’oubli ? Plusieurs pistes sont envisagées par le public. Tout d’abord, une hypothèse tout d’abord psychologique. Le pardon, au fond, est le symptôme d’une justice défaillante. On pardonne parce que, la justice ne pouvant être faite – dans le cas d’un crime irréparable, incommensurable, il faut bien continuer à vivre, et trouver une solution. Le pardon est ainsi une solution psychique à un problème social et moral. Dans cette ligne psychologique, le public se demande aussi si la compréhension réciproque n’est pas préférable au pardon aveugle. Au fond, la notion de faute présuppose une morale, un libre-arbitre. Mais dans une perspective déterministe, si chacun est poussé à agir par un jeu de causes dont il n’est pas maître, la faute peut être comprise comme erreur. La compréhension peut dès lors se substituer au pardon. Mais abandonner ainsi l’idée d’une morale n’est pas si simple. Et plusieurs personnes remarquent ainsi que le pardon n’a rien d’un geste irrationnel, qu’il demande du temps, et qu’il n’exclut pas la réparation, ne serait-ce que parce que recevoir le pardon présuppose de le demander, et donc de reconnaître sa faute.

Naît alors l’idée que le pardon est un acte de renouvellement de la relation. On pardonne pour sauver une relation, en plaçant l’amour qu’on a pour une personne plus haut que l’offense qu’elle nous a faite. Mais cela suppose une reconnaissance mutuelle qui fait pas recommencer la relation comme si de rien n’était, mais lui donne un nouveau départ. Le pardon comme libération de soi est aussi évoqué, et notamment l’idée intéressante de pardon à soi-même. On s’ouvre ici une nouvelle existence, sans nier la précédente. Pardonner n’est ainsi plus subir, mais agir, surmonter.

Le pardon n’est donc pas oubli, il est un acte de libération. Libérer l’autre de la faute et de ses conséquences, tout en se libérant soi-même des affects négatifs liés à l’offense subie. C’est un processus à la fois relationnel, temporel, psychologique. Il ne remplace pas la justice mais se situe plutôt tout au bout du processus de réparation. 

Pour Métaphores, Timothée

 

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Commentaires
C
Emmanuel LEVINAS tenait à distinguer les relations de " côte à côte " et de " face à face. " .J'envisagerai le façe à façe uniquement dans l'action de pardonner car le pardon se situe toujours dans une relation singulière .Pardonner c'est faire don de quelque chose à quelqu' un . Per/donare en latin .Mais quel peut être la nature de ce don ,car "donner " à l'autre n'est pas un acte anodin . C'est un don total ,entier comme l'indique le préfixe par du latin per .Le don sous entend une appréciation ,une valeur humaine de l'autre .N'y a -t-il pas une contradiction difficilement surmontable dans ce don puisque l'autre vous a offensé et parfois blessé et que vous vous efforcez de considérer l'offenseur avec bienveillance et compassion . Il s'agit de vaincre son ressentiment vis à vis de l'offenseur .Par ce don nous risquerions de nous amoindrir , de perdre une partie de notre être et pourtant dans le pardon vrai c'est tout le contraire qui se produit .<br /> <br /> Le pardon n'est pas l'oubli , car si l'on oublie le tort qui nous a été fait , alors il n'y a plus lieu de pardonner Ce n'est pas non plus la réconciliation , car nous ne pouvons pas nous réconcilier avec une personne qui ne souhaite pas nous rencontrer pour nous présenter ses excuses. Alors le pardon est-il un "eïdos" ? Il existe à mon avis des degrés dans le pardon en fonction de la souffrance psychique causée par autrui ainsi qu'une certaine subjectivité . En effet le sujet rancunier de part sa nature aura bien plus de difficultés à aller vers le pardon qu'un sujet jovial ouvert vers les relations humaines . Le pardon vrai ou le "vrai " pardon existe-il réellement ? Le lien avec autrui a été fortement endommagé, brisé , voir coupé sans réelle possibilité de le recoller comme avant la blessure . A quoi bon vouloir oublier , si ce n'est pour se libérer des affects qui nous perturbent l'existence et nous éloigne de l'ataraxie ? Je range dans une case profonde de ma psyché cette douleur qui ne disparaitra pas mais qui s'adoucira et s'atténuera avec le temps .Je fais le dos rond comme l'autruche . Malgré mes efforts pour pardonner , la solidité du lien d'antan ne peut se retrouver . Ce dernier a pourtant été recousu , rafistolé, recollé et consolidé mais il demeurera biaisé à jamais .Eh quoi , il faut bien continuer à vivre avec la blessure , faire semblant et retrouver des relations sociétales "normales". Le pardon n'est-il pas finalement une affaire de dupes emprunt d'hypocrisie bien que nous ne pouvons pas nier néanmoins une valeur éthique singulière à ce dernier ,puisque le pardon ne regarde que moi ? En m'inspirant de Spinoza, si après avoir pardonné j'éprouve un sentiment de joie alors j'aurais augmenté mon être , j'aurais persévéré dans mon être , je me serais approché de la félicitas et serais dans le vrai, mon acte de pardonner aura été bon , je me serais augmenté ,c'est ma liberté . Nous avons tous expérimenté et éprouvé cette joie immanente au cours de notre existence après avoir pardonné .<br /> <br /> Alors Pardonner , pardonner à moitié , ne pas pardonner ou pardonner sans pardonner à la manière des taôistes . Cette dernière proposition englobe à mon sens toutes les autres. Il s'agit en quelque sorte de prendre son temps , de ne pas se précipiter ,de bien réfléchir , de peser le pour et le contre en fonction de la conjoncture immanente , soit une intelligence subtile du moment ,garder son calme intérieur pour pouvoir décider sereinement. Pardonner ne peut-il pas être considéré parfois comme une faiblesse et signe d'une faute singulière qui peut mettre en péril au fil du temps nos proches? Le pardon vrai est-il réellement possible dans l'immanence quotidienne , en laissant de côté toute transcendance ? Je n'en suis pas du tout convaincu ....
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H
Beau sujet , mais quel sujet ! Si je demande parfois pardon à l'autre c'est parce que je pense l'avoir bousculé , ou être rentré dans son espace intime sans le vouloir .Maintenant si j'offense gravement , ou si je suis offensé gravement des procédures de réparation se mettront en place et un jugement si besoin mettra un terme à la procédure . Quant au pardon , vraiment pardonnez moi , mais je laisse cela aux religieux C'est un art difficilement praticable par le commun des mortels ,qui a pourtant été appliqué en Afrique du Sud et au Ruanda ,mais pour mettre fin à des massacres ,donc ,c'était un acte politique.<br /> <br /> Mais si l'offense est trop grande pour envisager une once de conciliation ,il faudra peut ^tre éviter la vengeance Quant à l'oubli ? c'est une longue thérapie.
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S
Sujet difficile en vérité qui soulève des questions comme celle de ‘l’imputabilité d’une action qui suppose que l’on soit capable de désigner l’autre sinon comme coupable mais d’ores et déjà comme entièrement responsable de son action .<br /> <br /> <br /> <br /> Que signifie « être comptable de ses actes », et à l’aune de quelle valeur ? <br /> <br /> <br /> <br /> La faute commise par « l’offenseur », reçue comme telle par l’offensé fait probablement l’objet d’une inadéquation avec un désir et l’action commise. Pour autant, des deux protagonistes quel est celui qui expérimente le plus cet écart, sinon celui qui se sent vraiment l’AUTEUR DE SES ACTES.<br /> <br /> <br /> <br /> Hum, Cela reste encore à définir…
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D
Beaucoup de mal avec ce sujet qui piège la pensée dans un paradigme moral et fétichiste étouffant. En ce sens, la première remarque de la soirée fut salvatrice en ce qu'elle questionna d'emblée le cadre dans lequel nous sommes ici contraints de réfléchir. <br /> <br /> Toute une ontologie est impliquée par le sujet : d'abord une victime et un fautif, deux "essences" bien confortables pour la pensée, et binaires de surcroît comme si les choses étaient aussi simples. Qu'est-ce qu'un coupable ? Qu'est-ce qu'une victime ? Où commencent la culpabilité et la faute ? C'est bien difficile. <br /> <br /> D'autre part, la fascination hypnotique pour le langage qui "essentialise" tout et donne à croire que la parole suffit dans son caractère magique à recoudre, à surmonter quoi que ce soit. <br /> <br /> Enfin, et dans la même veine, la croyance en un sujet maître de ses actions comme de son discours, capable d'autofondation et de dénomination du coupable- responsable mais aussi capable d'absolution. <br /> <br /> Bref, un sujet biaisé et dont les arrière-pensées, nombreuses, induisent des réponses, des conduites déterminées et sans doute un certain type de vie. <br /> <br /> <br /> <br /> J'ai beaucoup apprécié une des interventions finales évoquant une lente cicatrisation à la manière d'une forêt brisée par la tempête et recouvrant peu à peu ses forces vives. Loin du vocable fétichiste du "pardon" se joue dans cette image l'enjeu vital face aux blessures, la mise en mouvement des forces propres du vivant dans l'expérience de la douleur, par delà bien et mal.
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