Canalblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog
Publicité
Métaphores : CAFES-PHILO - CERCLE LITTERAIRE à Pau
6 septembre 2017

Résumé Apéro-philo 21/09/17 : De la méchanceté

Apero philo

L'Apéro-philo du mois de septembre s'est tenu le 21 à 18h45 au café-restaurant Un Dimanche à la campagne sur le sujet suivant : 

Est-il juste de dire : "Nul n'est méchant volontairement" ?

Résumé de la soirée :

1)    Cette célèbre assertion socratique pose que la méchanceté est un effet regrettable de l’ignorance, ou de la méconnaissance du véritable bien. Le sujet erre dans ses représentations, et, manquant de lucidité, de vertu et de courage, se laisse entraîner, au gré de ses passions ou de ses intérêts immédiats, à la séduction d’objets désirables, à des comportements injustes, tel le tyran, qui, pour asseoir un pouvoir incertain, se livre à de fâcheuses exactions. Errare humanum est : le sujet mal éclairé erre, se trompe, confond  le bien et le mal, et par faiblesse ou pusillanimité, se laisse induire au mal. Le méchant, « ponèros », est d’abord un « miséreux », un être souffrant d’immaturité, plutôt qu’un vicieux ou un scélérat. Cette idée d’insuffisance, de défectuosité, ou de pauvreté psychique, se retrouve dans l’étymologie du mot « méchant : primitivement « meschéant », « mal tombé », mal-chanceux, mal-heureux. – Si cette idée est la bonne il est possible, par l’exercice socratique, ou par une thérapie des passions, de redresser l’entendement défectueux, et de mener de l’ignorance à la connaissance, donc de supprimer la méchanceté, ou à défaut de l’amoindrir et de l’amender. Position optimiste qui ne convainc plus vraiment le moderne.

2)    Travail de définition : le méchant, au sens moderne, connaît le mal et le commet en toute conscience. « Je sais le bien, je l’honore, mais je fais le mal ». Il y aurait donc une intention de nuire à autrui, ce que souligne le mot allemand « Schadenfreude », littéralement « joie de nuire ». Le méchant prend plaisir, un plaisir sournois, à faire souffrir le prochain, tirant de cette souffrance une satisfaction trouble, dans laquelle il jouit de son propre pouvoir. C’est du moins ce que révèle une analyse plus poussée du phénomène. On peut admettre une sorte de gradation, à partir d’une méchanceté d’ «ignorance » - comme on la trouve chez les enfants – puis une méchanceté « involontaire » - jusqu’à la forme achevée de la méchanceté consciente et délibérée, dans laquelle se manifeste, pour ainsi dire, la forme pure de la notion.

3)    Mais alors se pose un problème : la méchanceté - pourquoi ? Peut-on décliner des causes ou des raisons, qui ne sont pas pour autant des justifications ? Le groupe évoque une gamme étendue de facteurs qui contribuent à l’éclosion de la méchanceté : les humiliations subies, les frustrations, les échecs, les privations, les souffrances accumulées, les blessures narcissiques, le désir de vengeance, la jalousie, la haine, la colère, en bref toute la kyrielle des passions tristes, en y ajoutant des facteurs environnementaux : harcèlement au travail, injustice sociale, discrimination, éducation mutilante ou tyrannique etc. Les raisons ne manquent pas, mais donnent-elles raison ? Un participant insiste sur le fait que ces causes ou raisons ne justifient pas – ce qui laisserait à penser que d’autres solutions seraient, en théorie – possibles. L’enfant battu devient-il nécessairement un parent batteur ? Se profile ainsi l’idée d’un choix possible, en lequel le sujet expérimente sa liberté, encore que cette liberté soit ici fort compromise par l’attachement au passé.

4)    La méchanceté est-elle une ignorance guérissable par l’éducation ou par la thérapie ? C’est oublier une dimension fort inquiétante, l’attraction du mal, que Baudelaire avait soigneusement notée, en remarquant qu’il existe en nous deux polarités opposées, l’une vers le bien, la générosité, ou l’empathie, et l’autre vers le mal, vers « les fleurs du mal ». Si le mal attire c’est qu’il promet des jouissances autres, plus dangereuses, plus risquées, parfois jusqu’au risque de la destruction. Faut-il évoquer une pulsion de mort, comme fit Freud, meurtri par l’horreur de la violence déchaînée et de la guerre ? Remarquons en tout cas que la méchanceté insiste, persiste, rebelle à tout traitement, renaissant périodiquement en dépit de toutes nos analyses et dispositions judiciaires. Il faut compter avec une « part obscure » qui est d’autant plus nocive qu’elle reste le plus souvent inconsciente, déniée ou forclose. La répétition manifeste la puissance du refoulé, qui fait retour.

5)    A  ce point, comment conclure ? L’idée socratique n’est pas fausse en soi, elle pêche plutôt par un excès d’optimisme : la connaissance suffirait à supprimer l’attraction du mal. « La vertu peut s’enseigner » disait Socrate. Les âges modernes, et leurs catastrophes historiques, nous ont conduits à penser que cette connaissance était bien difficile à acquérir, qu’elle n’avait nul effet si elle restait purement intellectuelle ou théorique, et que tout changement véritable suppose un travail de « perlaboration » en profondeur. Toute la question est de savoir si un sujet peut considérer en face sa propre méchanceté potentielle - inévitable dans le processus ordinaire de la maturation instinctuelle et pulsionnelle de l’homme en voie de socialisation – et décider en toute conscience d’en réduire la portée, afin de faire advenir en soi une forme d’empathie, par où il peut se réconcilier avec soi-même, et avec les autres, du moins un nombre significatif d’entre eux. Si on ne peut aimer tous les hommes, au moins pouvons-nous en aimer quelques-uns.

Animation, synthèse et résumé

Guy Karl

 

Publicité
Publicité
Commentaires
D
La méchanceté comme la gentillesse résonnent bien trop à mes oreilles comme des termes englués dans la morale, dans la simplification outrancière d'un jugement qui fait l'économie de ce qui se joue à l'arrière-plan.<br /> <br /> N'y a-t-il pas des méchancetés heureuses, non de la jouissance qu'elles tirent du mal qu'elles produisent mais au contraire du signal d'alerte qu'elles rendent possible, d'un éveil de la conscience perdue dans la mollesse commune.<br /> <br /> Pour gouverner, ne faut-il pas avec Machiavel "considérer par avance les hommes méchants et toujours prêts à en user" ? De ce négatif supposé, le prince tire une part essentielle de son intelligence, de son charisme, lui qui saura user de cruauté pour maintenir son Etat dans la concorde.<br /> <br /> Curieux paradoxe d'un vice érigé en vertu potentielle de l'action. <br /> <br /> Et si, chers amis, il en était de même sur le terrain psychologique, relationnel, sur le terrain de nos relations privilégiées ?<br /> <br /> Pourrons-nous surmonter l'écueil des catégorisations simplistes (bien et mal, méchant/ gentil) qui piègent le dynamisme de la vie, le réduisent, l'anémient, le caricaturent, cette même vie qui dans sa gentillesse native assassine à tour de bras et sans vergogne (Nietzsche) ?
Répondre
J
Peut-être que la difficulté face à la "méchanceté" avec cette impression de mouvement sans fin est due au fait que le discours du"méchant" est comme un disque rayé, un discours qui échoue, qui "tombe mal" parce qu'il n'a pas conscience de ce qu'il veut dire, ou parce que nous ne l'entendons pas, trop obnubilés à l'enfermer dans une catégorie aliénante au lieu de lui parler de ses possibles capacités à se transformer. Pour cela, encore faudrait-il qu'il soit entendu , que l'on fasse un pas de côté pour lui offrir l'opportunité, le courage, la force d'un autre"dire". Ce serait rendre service aux "méchants" comme aux "victimes". La justice restauratrice qui permet une rencontre entre les deux est une tentative de cela.
Répondre
D
Le débat a été tout aussi intéressant que la question; question faussement facile s'il en est.<br /> <br /> L'énumération du point 3) dans le résumé éclaire le besoin de précision et surtout l'importance d'une analyse fine du fait d'être méchant, analyse contextualisée, dans les détails du grouillement des situations vécues, pour mieux s'en extraire et mieux y revenir. <br /> <br /> <br /> <br /> Penser philosophiquement n'est pas toujours si abstrait et si général qu'on le croit. <br /> <br /> <br /> <br /> Bien à vous,<br /> <br /> <br /> <br /> David
Répondre
C
Merci de ce résumé, je n'ai pas pu venir et je le regrette... <br /> <br /> J'aurais introduit une notion que je ne vois pas mise en avant qui serait une "méchanceté instinctive" (c'est la définition qui me vient).... Je fais référence en cela aux sciences du comportement animal et humain... Ce à quoi je pense à un nom qui m'échappe actuellement.. <br /> <br /> Mais en un mot je peux l'illustrer cela par "la hiérarchie du coup de bec, chez les poules", qui fait que la poule alpha va donner des coups de becs à toutes les poules (ce que nous pourrions définir comme un comportement méchant) tandis qu'en bas de l'échelle la poule lambda va prendre des coups de becs de toutes les autres... Nous pourrions peut-être voir cela chez les humains, comme étant le souffre-douleur (?)<br /> <br /> Je veux dire par là, que l'on peut se poser la question : la méchanceté (en est-ce une alors ?) ne peut-elle pas être "agie" par la nécessité de s'affirmer au sein d'une hiérarchie, d'une organisation, faute de se retrouver à perdre sa place ?
Répondre
Newsletter
167 abonnés
Publicité
Derniers commentaires
Publicité