Le Café-philo de Bedous de janvier s'est tenu le samedi 07 à 18h dans la merveilleuse vallée d'Aspe (20 km au sud d'Oloron-Sainte-Marie) au café-librairie, L'Escala (clic). Le sujet abordé à cette occasion fut :
Peut-on vivre sans croire ?
La présentation et l'animation furent assurées par Véronique Barrail, professeure de philosophie. Dix-huit personnes de la vallée, d'Orthez et de Pau se sont déplacées pour participer à cette belle activité.
Résumé de la soirée :
La croyance semble une attitude partagée par toutes les sociétés humaines, en tous temps et en tous lieux et si chaque culture peut avoir ses croyances, chaque âge aussi : l’enfant croira au père noel, quand l’adulte croira lui en un Dieu ou plusieurs, des mythes, légendes etc....Ce que d’emblée nous pouvons remarquer, c’est que ce en quoi nous croyons peut provoquer en nous une fascination et influer sur nos actes (l’enfant peut devenir sage pour que le père noel passe...), ce qui pose la question de la liberté puisque la croyance n’est pas qu’une pure idée mais agglomère des peurs, des affects.
C’est d’ailleurs face à la croyance qu’apparait la marque de la civilisation grecque, avec l’émergence de la philosophie. Cette marque est la rupture entre le mythos et le logos, le discours rationnel, le savoir. Au VI° siècle avant notre ère, émerge l’invention de la rationalité, le fait que l’on n’explique plus la genèse de toute chose par l’action des dieux. Si nous sautons quelques siècles, Kant explique dans “Réponse à la question : qu’est-ce que les lumières?” que ces dernières consistent pour un peuple à accéder à la majorité c'est à dire à la capacité et au courage de penser par soi-même et que, parmi les entraves tendant à limiter la liberté, il y a la formule des prêtres : “ne raisonnez pas, croyez !”
Mais le problème ne vient pas que de la religion et semble concerner tout un chacun : nous pouvons croire par passivité, quand par exemple nous adhérons à l’idéologie ambiante et il faut donc interroger plus précisément ce que la croyance peut engendrer. Elle peut en effet se muer en idolâtrie, faussant le rapport que l’homme entretient avec le réel. Celui qui idolâtre croit penser la réalité et être libre dans cet acte alors qu’il tombe dans du fétichisme. Bref, nous voyons bien le danger.
Mais, peut-on alors vivre sans croire ? puisque nous constatons que l’on peut faire croire, faire croire que l’on croit, cesser de croire. Cependant, la formulation du sujet semble suggérer une difficulté, tant d’ordre psychologique que éthique. Ainsi, dans une société qui orchestre la référence au père noel, peut-on éviter de jouer à ce jeu ?
Pour autant, que serait un monde sans croyance ? Après tout, tous les jours, nous nous fions à des choses que nous n’avons pas où ne pouvons pas vérifier (discours scientifique, parole du médecin...)
La croyance est-elle inhérente à l’esprit humain ?
Est-elle nécessairement aliénante ?
Quels risques à ne croire en rien ?
Dans un premier temps, nous remarquons que nous pourrions accepter de ne pas expliquer certaines choses, ce qui nous permettrait, comme la science demandant des preuves, d’échapper à la croyance. Il faut donc faire la distinction entre croire et savoir. Le rationaliste dirait : “je n’ai pas besoin de croire, à partir du moment où je sais .
Pourquoi en effet aurions-nous besoin de croire ? de faire confiance à ce dont nous n’avons aucune preuve ? La confiance suppose un risque ( l’effet placebo d’un médicament, la fiancée qui “donne son coeur” ) et comporte une dimension irrationnelle et l’on voit bien comment acte de foi et acte de raison ne sont pas les mêmes. La croyance aurait alors un effet sécurisant, réduisant l’étrangeté du monde, nous permettant d’amadouer les forces surnaturelles (voir les sacrifices sanglants dans les sociétés précolombiennes parce que le soleil était censé se nourrir du sang humain), de nous adapter au monde, de l’habiter. Ce qui semble alors inhérent, c’est l’angoisse devant l’absence de sens.
Mais, quelle est cette horreur du vide ? Pourquoi devrait-il être comblé par une croyance ? Vouloir à tout prix donner un sens, n’est-ce pas toujours se projeter sans vivre l’instant présent ? Faut-il rester sur cette modalité d’adaptation posant toute la question de la vérité ?
En même temps, peut-on éviter de croire ? Les êtres humains ne peuvent pas faire toutes les expériences et il faut donc peut-être croire en quelque chose. La science elle-même n’est pas exonérée de croyance, croyance en la rationalité du monde, en un savoir accompli qui atteindrait le réel et Einstein lui-même en parlait : ”sans la croyance qu’il est possible de saisir la réalité avec nos constructions théoriques, sans la croyance en l’harmonie interne de notre monde, il ne pourrait pas y avoir de science”. Ainsi, la science ne cesse de nous mettre elle-même devant de nouvelles énigmes et à chaque fois que le scientifique arrache un masque au réel, ce dernier en met un autre. Enfin, la première croyance est celle de l’enfant qui croit que la mère va toujours revenir pour ensuite croire au langage, croyance qui se poursuit à l’âge adulte.
Le problème n’est peut-être pas la croyance en tant que telle mais la relation que nous entretenons avec et la manière dont elle s’édifie.Toutes les croyances ne sont pas équivalentes et si certaines sont inhibitrices et freinent notre liberté, d’autres nous font peut-être avancer dans la vie (un idéal, les valeurs, un pari sur la vie). Ainsi, que pourrait-on mettre à la place de la croyance ?
L’enfant vient au monde vierge de toute connaissance et se construit par ce qu’on lui dit, en faisant confiance en la parole de l’autre qui construit en lui un univers de sens. Le réel avançant masqué, difficile de vivre sans croyance. Mais en même temps, vient le moment où celui qui a reçu interroge ce qu’il a reçu. Il faut alors distinguer la croyance de la crédulité, et pour se départir de cette dernière, en revenir à E. Kant. Les hommes veulent être libres mais évitent de penser par eux-mêmes. Penser par soi-même, c’est se mettre à douter, se mettre à distance de la croyance, risquer l’erreur et faire l’expérience de la solitude. Cette entreprise difficile est pourtant acte de liberté, et ce qui permet une rencontre authentique avec l’autre. Se rendre non-dupe est donc une acceptation de l’errance en même temps qu’une exigence. Ce n’est qu’en ce sens que nos croyances peuvent déboucher sur un regard plus créatif sur le monde et nous permettre d’y oeuvrer pleinement.
Pour Métaphores, VB