Résumé Apéro-philo du 26/05/16 - émotion et rapport au monde
L' Apéro-philo (entrée libre et gratuite) du mois de mai s'est tenu le jeudi 26 à 18h45 au Café suspendu (café associatif) à Billère (15 rue Lasansaa) sur le sujet suivant :
Les émotions nous enseignent-elles quelque chose de notre rapport au monde ?
Guy Karl, philosophe, a engagé une réfléxion à partir d'une problématisation initiale d'une vingtaine de minutes avant de laisser le groupe s'emparer des enjeux proposés sous forme de plan d'étude.
Résumé :
1) Le premier moment de la réflexion consistera à préciser la nature de l’émotion : mouvement (movere) hors de (ex) – hors de l’apparente unité et stabilité du moi. Quelque chose surgit qui dérange, affecte, trouble, en agréable ou désagréable, l’ordonnance intérieure. Joie, tristesse, colère, angoisse, effroi etc. L’émotion, surgissant, semble incontrôlable, irrationnelle. Je proposerai le mot grec « a-logos »pour la qualifier – ce qui déborde le logos, la mesure, l’équilibre, la raison.
2) L’opposition entre la raison et l’émotion (plus ou moins identifiée à la « passion, le « subir, la passivité ») est un thème classique de la philosophie. En général on considère que seuls l’entendement, la pensée logique sont en mesure de nous enseigner la nature des choses, l’émotion étant trop subjective, trop irrationnelle, trop immédiate, confuse et réactive pour nous délivrer un enseignement vrai. Mais cette conception rationaliste est trop étroite : elle néglige un aspect bien réel de la condition humaine. L’homme n’est pas seulement « sapiens » mais aussi « demens » (Edgar Morin). Tout le théâtre antique et moderne, toute la littérature romanesque se nourrit de cette irrationalité, et en montre le caractère indépassable.
3) Peut-être l’émotion est-elle utile. Dans la lutte pour la survie, la peur et la colère sont des agents dynamiques. Les émotions collectives jouent un grand rôle dans l’histoire, pour le pire et le meilleur. L’émotion se partage, se diffuse, crée des liens « pathétiques », contribuant à sa manière à la socialisation.
4) Premier bilan : Selon une conception étroite on s’imagine que seule la connaissance rationnelle est vraie. N’est-ce pas un préjugé idéaliste ? Second point : on assimile l’émotion à une perte de maîtrise. Mais le logos est-il une maîtrise ou une illusion de maîtrise ? On aboutit de la sorte à une réévaluation de l’émotion, qui, pour être confuse, n’en est pas moins un témoignage poignant de notre rapport au monde.
5) Mais qu’est-ce que ce rapport au monde ? Quel monde ? Manifestement il s’agit moins du monde tel qu’il est – et dont ne savons rien –que du monde tel que nous le vivons, sentons et ressentons. Nous sommes au monde, dans le monde, « pris dans le monde » - et nullement des observateurs détachés, comme dans les sciences de la nature. Ce monde est celui de l’attachement vital, de la dépendance organique, de la relation immédiate ou médiate aux autres, celui de la vie partagée. C’est ici que l’émotion est présente, voire omni-présente, c’est ici que se modulent tous ces affects de haine, d’amour, de déception, d’angoisse, de peur et de colère. Evidence existentielle.
6) Remarquons que de ce « monde » nous ne savons pas s’il est vraiment extérieur à nous ( ?) ou s’il est la projection hors de nous du monde intérieur, qui colore, conditionne toutes nous perceptions, toutes nos représentations. Le déprimé voit tout en noir et gris. L’exalté voit tout grandiose. Le colérique « voit rouge ». C’est plus qu’une métaphore, c’est une expérience vécue. Comment expliquer les variations d’humeur, les accès de frénésie, les délires et autres altérations de la perception, qui déclenchent les plus formidables émotions, alors que le monde réel n’a guère changé ? Ces constats nous amènent à nous interroger sur la structure neuronale, le rôle des transmetteurs chimiques, sur la biologie du cerveau, mais aussi sur les pulsions inconscientes, les formations psychiques, les images et les fantasmes.
En bref, l’homme est sujet aux émotions, sa raison n’est pas impuissante, mais moins puissante qu’il croit : il a bien affaire au monde puisqu’il y est immergé, mais il continue de ne pas savoir quel est exactement ce monde qu’il habite tant bien que mal, qui le fait naître, qui le nourrit et le détruit.
Pour Métaphores, GK