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Métaphores : CAFES-PHILO - CERCLE LITTERAIRE à Pau
27 mars 2016

Résumé Apéro-philo du 26/05/16 - émotion et rapport au monde

Apero philo

L' Apéro-philo (entrée libre et gratuite) du mois de mai s'est tenu le jeudi 26 à 18h45 au Café suspendu (café associatif) à Billère (15 rue Lasansaa) sur le sujet suivant :

 

Les émotions nous enseignent-elles quelque chose de notre rapport au monde ?

 

Guy Karl, philosophe, a engagé une réfléxion à partir d'une problématisation initiale d'une vingtaine de minutes avant de laisser le groupe s'emparer des enjeux proposés sous forme de plan d'étude. 

Résumé : 

1)       Le premier moment de la réflexion consistera à préciser la nature de l’émotion : mouvement (movere) hors de (ex) – hors de l’apparente unité et stabilité du moi. Quelque chose surgit qui dérange, affecte, trouble, en agréable ou désagréable, l’ordonnance intérieure. Joie, tristesse, colère, angoisse, effroi etc. L’émotion, surgissant, semble incontrôlable, irrationnelle. Je proposerai le mot grec « a-logos »pour la qualifier – ce qui déborde le logos, la mesure, l’équilibre, la raison.

 2)      L’opposition entre la raison et l’émotion (plus ou moins identifiée à la « passion, le « subir, la passivité ») est un thème classique de la philosophie. En général on considère que seuls l’entendement, la pensée logique sont en mesure de nous enseigner la nature des choses, l’émotion étant trop subjective, trop irrationnelle, trop immédiate, confuse et réactive pour nous délivrer un enseignement vrai. Mais cette conception rationaliste est trop étroite : elle néglige un aspect bien réel de la condition humaine. L’homme n’est pas seulement « sapiens » mais aussi « demens » (Edgar Morin). Tout le théâtre antique et moderne, toute la littérature romanesque se nourrit de cette irrationalité, et en montre le caractère indépassable.

 3)        Peut-être l’émotion est-elle utile. Dans la lutte pour la survie, la peur et la colère sont des agents dynamiques. Les émotions collectives jouent un grand rôle dans l’histoire, pour le pire et le meilleur. L’émotion se partage, se diffuse, crée des liens « pathétiques », contribuant à sa manière à la socialisation.

 

apéro-philo 26 05 16

 

 4)       Premier bilan : Selon une conception étroite on s’imagine que seule la connaissance rationnelle est vraie. N’est-ce pas un préjugé idéaliste ? Second point : on assimile l’émotion à une perte de maîtrise. Mais le logos est-il une maîtrise ou une illusion de maîtrise ? On aboutit de la sorte à une réévaluation de l’émotion, qui, pour être confuse, n’en est pas moins un témoignage poignant de notre rapport au monde.

 5)       Mais qu’est-ce que ce rapport au monde ? Quel monde ? Manifestement il s’agit moins du monde tel qu’il est – et dont ne savons rien –que du monde tel que nous le vivons, sentons et ressentons. Nous sommes au monde, dans le monde, « pris dans le monde » - et nullement des observateurs détachés, comme dans les sciences de la nature. Ce monde est celui de l’attachement vital, de la dépendance organique, de la relation immédiate ou médiate aux autres, celui de la vie partagée. C’est ici que l’émotion est présente, voire omni-présente, c’est ici que se modulent tous ces affects de haine, d’amour, de déception, d’angoisse, de peur et de colère. Evidence existentielle.

 6)         Remarquons que de ce « monde » nous ne savons pas s’il est vraiment extérieur à nous ( ?) ou s’il est la projection hors de nous du monde intérieur, qui colore, conditionne toutes nous perceptions, toutes nos représentations. Le déprimé voit tout en noir et gris. L’exalté voit tout grandiose. Le colérique « voit rouge ». C’est plus qu’une métaphore, c’est une expérience vécue. Comment expliquer les variations d’humeur, les accès de frénésie, les délires et autres altérations de la perception, qui déclenchent les plus formidables émotions, alors que le monde réel n’a guère changé ? Ces constats nous amènent à nous interroger sur la structure neuronale, le rôle des transmetteurs chimiques, sur la biologie du cerveau, mais aussi sur les pulsions inconscientes, les formations psychiques, les images et les fantasmes.

             En bref, l’homme est sujet aux émotions, sa raison n’est pas impuissante, mais moins puissante qu’il croit : il a bien affaire au monde puisqu’il y est immergé, mais il continue de ne pas savoir quel est exactement ce monde qu’il habite tant bien que mal, qui le fait naître, qui le nourrit et le détruit.

Pour Métaphores, GK

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Commentaires
G
Merci pour cette judicieuse contribution qui réintroduit heureusement la dimension sensible-affective, notamment par la signification de l'art comme être au monde original et singulier. Sans émotions commet l'art et la poésie seraient-ils possibles? Et même la philosophie s'origine d'un ébranlement émotionnel : voir le pathos de Platon, ou l'effroi de Pascal.
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E
Quel sujet intéressant ! A défaut de pouvoir participer à ces soirées d'échanges, je me console des lectures de compte-rendus et des commentaires fournis.<br /> <br /> Il semblerait que toute une tradition philosophique/scientifique, ait orienté notre appréhension de l'humain à travers une dichotomie entre raison et sensibilité. Heureusement, les artistes, musiciens, poètes et écrivains, entre autres, nous ont souvent montré l'inverse : cette alchimie subtile et complexe entre raison et émotions. On pourrait tout à fait lire "raison et sentiments" de Jane Austen par ex.<br /> <br /> Il est intéressant de voir dans cette langue française la proximité entre les verbes "raisonner" et "résonner" : une légère nuance phonologique et orthographique les différencie seulement. A croire que la langue contenait en elle, et nous en avions l'intuition, cette idée d'une étroite relation entre ces deux aspects qui font notre mode de vivre : corps pensant, corps vibrant, au contact des autres, de l'Autre, "entre prose et poésie" comme le suggère Edgar Morin, autrement dit aussi, l'un ne va pas sans l'autre.<br /> <br /> Cela dit, chaque individu a son fonctionnement propre très lié à son histoire individuelle, histoire évidemment modelée par l'environnement socio-culturel, langagier : c'est dire que raison et émotion sont des mouvements intérieurs/extérieurs, entre psychisme et social, intériorité et extériorité donc, et que la frontière est bien floue.<br /> <br /> Il me semble aussi, pour finir, qu'en aiguisant sa sensibilité, à l'écoute de soi et du monde, on peut percevoir quelques uns de ces mouvements. (et voilà, c'était mon petit grain de sel)
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D
Il est intéressant de faire remarquer que les primatologues comme Frans de Waal étudiant chimpanzés et bonobos ont observé d'incroyables parentés avec les humains sur le terrain émotionnel. Ces grands singes sont capables non seulement d'empathie mais aussi de choix dans l'entraide, de décision à partir de situation de stress. Ils éprouvent également le sentiment d'injustice lors d'un partage inéquitable et le manifeste bruyamment à travers des émotions brutales.
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G
Merci cher Dominique pour ces interventions "neurobiologiques" qui ont évidemment leur place dans le sujet. Malheureusement, mes amis et moi sommes assez ignares dans ce domaine, mais tout à fait disposés à entendre la voix d'un qualifié. Pour ma part je suis de plus en plus sensible à une approche de ce type, voyant que les théories classiques ne peuvent rendre compte de la réalité des faits. En espérant te revoir et te lire encore ! Cordialement.
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D
Une théorie de l'émotion, c'est ce que j'avais cru "observer!" en lisant l'intéressant texte de Guy: Les émotions nous enseignent-elles quelque chose de notre rapport au monde<br /> <br /> C'est pour augmenter le débat, que je suis intervenu, en voulant mettre en perspective une autre vision: notre rapport au monde n'est médié que par des stimuli sensoriels (nos émotions) et notre représentation est différente selon les états émotionnels dans lesquels nous sommes et les voies empruntées par les signaux qui nous sont extérieurs. L'important n'est pas le "ressenti" mais ses conséquences sur le fonctionnement de notre corps dont notre cerveau, donc sur notre psychisme, nos jugements, nos comportements... La description des circuits neurologiques anatomiques et fonctionnels a démontré ces interactions, qui pourraient être prises en compte dans l'étude du sujet posé. Elle montre qu'il n'y a pas d'opposition émotion-raison mais une modulation de la raison par les émotions et l'impossibilité de raisonner sans émotion. <br /> <br /> Il me paraît délicat de penser ontologie "médicale" sans intégrer les apports de la connaissance issus des travaux de gens travaillant dans d'autres disciplines. Si la philosophie est en train de réintégrer l'art médical, il devrait aussi possible d'intégrer la neurobiologie du XXI° siècle à la réflexion philosophique, pour en augmenter la puissance. <br /> <br /> Quant à l'homme réel, il n'est qu'une figure de rhétorique d'opposition à celui qui pense que le monde intelligible est supérieur au monde sensible. Il a un chien qui aboie…<br /> <br /> <br /> <br /> Dominique, qui aime être "taquiné" et Ravel…<br /> <br /> <br /> <br /> Pour info: En ce moment, est diffusé un MOOC de France Université Numérique (FUN), abordant ces data: From neuron to behaviour https://www.fun-mooc.fr/courses/pasteur/96001/session01/about <br /> <br /> Avec, notamment, en dernier cours :comment le microbiote intestinal agit avec le cerveau
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